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Friday, August 21, 2020

Le déclin avien, la fin de l'humain - Le Temps

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Le Covid-19 nous l’a rappelé. L’homme n’est désormais plus épargné par le déséquilibre naturel qu’il a créé pour des raisons de productivité. Déforestation massive, monoculture intensive, utilisation d’engrais chimiques, rupture des chaînes alimentaires et appauvrissement des biotopes sont autant de coups portés à l’environnement qui, par son dérèglement ainsi provoqué, met l’humanité en danger. Avec son déclin, l’oiseau est aussi un impitoyable baromètre de cette crise écologique.

Non seulement, certaines espèces disparaissent, s’inquiète François Turrian, directeur romand de l’association BirdLife, mais surtout, la taille des populations se réduit. «Dans les années 1970, les hirondelles, martinets, alouettes des champs faisaient partie de notre quotidien, comme les insectes et les papillons. On en voyait partout. Aujourd’hui, leur diminution par milliers témoigne de l’effondrement des écosystèmes soumis à trop de pressions.» Bilan et propositions pour changer la donne.

L’impact humain est considérable

Sur les 11 000 espèces d’oiseaux qui peuplent la planète, 1500 sont placées sur liste rouge. En Suisse, 40% des 450 espèces sont menacées et protégées. «Il existe une érosion des espèces, mais aussi une diminution massive des populations d’oiseaux. L’Europe a perdu 400 millions d’oiseaux lors des trente dernières années», signale le spécialiste. A quoi doit-on cette érosion?

Le principal facteur du déclin de l’avifaune est la perte ou la dégradation de ses habitats et de la nourriture qui leur est associée, indique François Turrian. «A l’échelle mondiale, la déforestation est un problème majeur alors qu’en Suisse, les zones cultivées et les habitats humides sont les plus touchés, du fait de l’urbanisation du territoire et d’une agriculture encore trop intensive.» L’impact des changements climatiques est déjà à l’œuvre. Une étude de BirdLife International montre qu’avec l’augmentation des températures sur la planète, plus de 2300 espèces, soit près d’un quart de l’avifaune mondiale, risquent de disparaître. Par ailleurs, les populations d’oiseaux des archipels océaniques souffrent de l’introduction artificielle des chats, chiens et rats, mammifères qui causent des dommages considérables.

Les fauvettes dans les assiettes

Les vitres des abribus et des bâtiments translucides ou réfléchissants créent aussi de gros dégâts, poursuit le spécialiste. «En Suisse, on estime qu’au moins 3 millions d’oiseaux sont victimes chaque année de collision. Un effort doit être fait pour mieux les signaler.» Enfin, d’autres causes anthropiques de mortalité sévissent: la présence des chats en haute densité – un million et demi en Suisse!, comme l’implantation des pylônes, lignes électriques et parcs éoliens qui, selon leur emplacement, provoquent des risques de collision et dérangent les espèces sensibles.

Revenons aux facteurs plus connus, qui relèvent aussi de décisions gouvernementales. L’association BirdLife déplore que, dans certains endroits de Suisse, la chasse au lagopède alpin ou perdrix des neiges, à la bécasse des bois et au tétras lyre, trois oiseaux en fort déclin, continue d’être permise. «C’est intolérable. Cette chasse de loisir n’a plus sa raison d’être», s’insurge François Turrian. Au niveau mondial, avec le déclin des populations aviennes, la chasse devient de moins en moins durable.

Rien qu’en Méditerranée, chaque année, 25 millions d’oiseaux sont tirés ou attrapés avec des filets ou de la glu sur les branches, souvent à des fins commerciales. «Comme les ortolans, en France, auparavant, les fauvettes sont aujourd’hui vendues en grillades, sur l’île de Chypre, à des clients russes argentés», précise le scientifique. Dans la même idée, la Ligue française pour la protection des oiseaux, la LPO, doit sans cesse se battre contre les pratiques illégales en regard du droit européen, type chasse à la grive. «Nos voisins français et italiens figurent ainsi dans le peloton de tête des moutons noirs de l’Union.»

Une haie, un bosquet, les oiseaux par paquet

Concernant l’étiolement des écosystèmes, François Turrian chiffre les dommages. «Si vous prenez 2 ou 3 hectares de cultures intensives comme on en trouve encore dans le Gros-de-Vaud, vous découvrez que seules quatre espèces d’oiseaux peuvent nicher dans un tel environnement. Si vous considérez la même surface pourvue de haies, de jachères et de bosquets, ce nombre s’élève à 40.» La démonstration vaut aussi pour les forêts. «Dans une plantation d’épicéas, seuls quatre ou cinq oiseaux peuvent s’installer, alors que dans une forêt diversifiée où cohabitent des feuillus, des buissons, des herbes, du bois mort, de la mousse, etc., une trentaine d’espèces s’épanouit.»

Les conséquences d’un tel appauvrissement? «A court terme, des pertes de rendement dans les zones cultivées, l’attaque plus fréquente des ravageurs (insectes, petits rongeurs) dont les oiseaux sont des grands régulateurs et l’appauvrissement de nos sols», recense le biologiste. Plus globalement, les écosystèmes ainsi étiolés vont présenter moins de résilience en cas d’événements climatiques hostiles.

Même le moineau, volatile urbain qu’on imagine invincible, figure sur la liste rouge de certains pays européens.

Confiant dans les possibilités d’amélioration, le directeur romand de BirdLife cite une victoire chère à son cœur: l’abolition du DDT, toxique insecticide dont la militante américaine Rachel Carson a dénoncé les ravages sur les populations d’oiseaux chanteurs dès les années 1960. Les produits épandus étaient consommés par les oiseaux via les insectes intoxiqués et remontaient dans les chaînes alimentaires.

Le faucon pèlerin est devenu l’emblème de cette dérive. Lui qui mangeait des oiseaux intoxiqués s’est mis à pondre des œufs avec une coquille si fine qu’ils cassaient sous le poids de la femelle lorsqu’elle couvait. «Il a fallu un grand combat des associations écologiques dans les années 1970 pour faire interdire ce DDT, remplacé hélas par d’autres substances toxiques depuis», précise François Turrian.

Le moineau, lui aussi, est menacé

Même le moineau, volatile urbain qu’on imagine invincible, figure sur la liste rouge de certains pays européens. Au départ, le moineau est, par excellence, l’oiseau qui s’est le mieux adapté à l’homme. Il s’est répandu dans nos cités lorsque l’être humain s’est mis à nourrir le cheval domestique avec de l’avoine, raconte l’ornithologue. Les moineaux sont alors sortis des grottes et ont suivi l’humain (enfin, surtout l’avoine) au cœur des habitats urbains. Aujourd’hui, les moineaux raffolent des graines, mais peuvent très bien se contenter de restes de fast-food ou autres reliques de nos aliments. C’est ce qu’on croyait en tout cas.

Récemment, les Anglais ont tiré la sonnette d’alarme en remarquant que les moineaux diminuaient drastiquement. En étudiant les causes de ce déclin, il a été établi que si les spécimens adultes profitaient de la générosité des déchets, les petits mouraient dans leur nid, car seuls les insectes sont appropriés à leur croissance. Or, les villes manquent d’insectes. «Pour les faire revenir, il faut planter des prairies parsemées de fleurs indigènes, car les fleurs exotiques sont de peu d’intérêt pour eux. Il faut ramener des marguerites et des sureaux à la place des forsythias et autres laurelles», détaille François Turrian.

Un bâti moins hospitalier

Par ailleurs, beaucoup d’oiseaux souffrent de l’architecture contemporaine qui, avec sa prédominance de cubes de béton et de verre aux lignes pures, a aboli les nichoirs potentiels – corniches, encorbellement, recoins – prisés par les martinets et les hirondelles.

Un autre oiseau typiquement urbain et qui, pour certains, ne se porte que trop bien? Le pigeon, bien sûr. Autrefois élevé pour servir d’ornement ou de messager, le pigeon biset est redevenu (relativement) sauvage, mais attaché à nos villes où il trouve largement de quoi manger. En réalité, les élevages de pigeons existent encore, précise François Turrian. BirdLife a même de gros problèmes avec certains éleveurs, qui empoisonnent les faucons pèlerins qu’ils estiment responsables de la mort de leur cheptel.

«Comme le faucon pèlerin est protégé, nous avons pu dénoncer un empoisonnement qui s’est déroulé dans la ville de Zurich. Grâce à une webcam placée sur un nid de faucons pèlerins, on a vu comment une femelle qui dépeçait un pigeon pour ses petits, a vacillé, convulsé et est tombée raide. C’était atroce. Le pigeon qu’elle avait chassé avait été enduit d’un neurotoxique très puissant qui ne lui a laissé aucune chance. La police a pu retrouver deux de ces éleveurs criminels, qui ont été inculpés.»

Stérilisation du pigeon

Le pigeon a proliféré dans notre environnement urbain grâce aux corniches, anfractuosités où nicher et surtout grâce à la nourriture et aux graines qu’il trouve en profusion. «C’est toujours compliqué de parler de surpopulation, car on fait preuve d’anthropocentrisme, mais nous ne sommes pas opposés à la politique de stérilisation menée par plusieurs municipalités pour éviter la prolifération des pigeons», admet le directeur romand de BirdLife. A cette fin, les villes favorisent l’installation des pigeons dans des nids très confortables, puis suppriment leurs œufs. Ou recourent à des graines qui stérilisent les oiseaux.

«Contrairement à l’idée reçue, les pigeons ne sont pas sales et ne transmettent aucune maladie, mais ils occasionnent, c’est vrai, des problèmes de souillure des bâtiments avec leurs fientes, poursuit François Turrian. Par ailleurs, même s’il niche librement, je reconnais que le pigeon biset des villes fait pâle figure à côté de son ancêtre le pigeon biset sauvage que l’on trouve dans les falaises de Bretagne. C’est sûr qu’à manger des restes de hamburgers, le pigeon urbain a perdu pas mal de ses instincts!»

S’engager pour les oiseaux

Chacun peut contribuer à un avenir moins sombre pour la gent ailée. «Mais attention, prévient l’ornithologue, là aussi, il y a des croyances qui ont la vie dure. Nourrir les oiseaux en hiver n’est pas une mesure de conservation pour eux, il s’agit plutôt d’une sensibilisation, à pratiquer avec modération. D’autant que de nouvelles études précisent que certains aliments riches en graisse diminuent la fertilité des oiseaux…»

Le bon geste pour l’avifaune urbaine? Faire revenir la biodiversité près de chez soi, sur son balcon ou dans son jardin. «Malheureusement, la manie du propre en ordre helvétique est un obstacle au mieux vivre ensemble entre hommes et oiseaux», regrette le spécialiste. Qui précise que, de toute façon, les initiatives individuelles sont à elles seules insuffisantes pour inverser la tendance. «Les pouvoirs publics et tous les autres secteurs de la société doivent mettre la protection de la biodiversité et du climat au centre de leur agenda, sinon c’est l’humain, et très vite, qui en pâtira.»

La réserve naturelle, le Hilton des oiseaux

Pour les oiseaux, les meilleurs havres de paix restent les réserves naturelles telles que celle qui abrite, depuis 2001, le Centre-Nature BirdLife, à La Sauge, au bord du lac de Neuchâtel. Au fil d’un circuit où sont aménagés quatre observatoires, on croise, un jour de juin, des passionnés munis de jumelles ou d’appareils photo heureux d’observer un martin-pêcheur, rare oiseau indigène dont les couleurs flamboient, une rousserolle effarvatte et son petit chant grinçant et une famille de torcols plutôt rare que François Turrian est très ému d’apercevoir parmi les roseaux. «Après votre venue, on a eu la chance de constater que l’un des deux nids de la rousserolle était occupé par un coucou qui a été nourri par ses parents adoptifs, comme le veut la loi des oiseaux. Les parents rousserolle ont même dû suivre le squatteur dans la forêt pour continuer à le nourrir, alors que cette espèce déteste s’éloigner des roseaux!»

On questionne François Turrian sur cette passion qui l’a pris tout petit et ne l’a jamais quitté. «Connaître et apprécier les oiseaux, c’est vraiment s’ouvrir à un théâtre permanent de joie et d’émotions. Je ne peux pas m’imaginer un monde sans oiseaux. Ce serait l’apocalypse pour moi et un très mauvais présage pour l’humanité!»


La ronde des expressions

Oiseau de mauvais augure

C’est parce que les entrailles d’oiseaux ont figuré au nombre des observations des devins de l’Antiquité que cette expression, employée depuis le XVIIe siècle, s’est imposée. Quand les viscères aviaires annonçaient des jours mauvais, on parlait d’oiseau de «mauvais augure», sachant qu’augurium veut dire «présage» en latin. Etonnamment, l’expression «oiseau de bon augure» existe aussi, mais, poursuit ça m’intéresse.fr, la pratique n’a retenu que la première, car les oiseaux véhiculent souvent une image négative. Il suffit de penser au thriller d’Hitchcock, Les Oiseaux, dont la scène du grenier a valu à Tippi Hedren, l’actrice principale attaquée par une escadrille de volatiles, une crise de nerfs carabinée. Le dicton belge «quand vous tenez l’alouette, vous devez la plumer», témoigne encore de cette idée d’hostilité que les défenseurs de la biodiversité et le bon sens invitent à revisiter.


La citation

«Un seul oiseau en cage et la liberté est en deuil», Jacques Prévert




August 21, 2020 at 03:11PM
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